Les fiancés du 29 février, 2009




Photo : Alain Hamon, www.destination-italie.net




EXTRAIT

L'apparition de tous ces personnages du tarot chinois, dans les derniers jours du Carnaval, coïncidait avec l'approche des festivités de clôture et l'élection du plus beau masque sur le thème de l'Orient Express.

Au cours de ces jours, l'autre s'est manifesté et je ne voyais pratiquement plus Corina. Elle n'était pas disponible pour moi, trop accaparée par l'autre, qui continuait pourtant de se comporter de façon odieuse avec elle.

Quand je téléphonais à Corina, son long silence me confirmait sa douleur, et le mien qui y répondait, par une entente tacite entre nous, se voulait un baume. Je ne faisais aucune remarque et ne posais pas de questions. Je posais mon silence sur le sien et nous pouvions rester ainsi pendant plusieurs minutes. Autant ce silence mutuel marquait une communion, autant il indiquait le vide infranchissable qui nous séparait.

Déguisé en Pierrot et plus malheureux que les vieilles pierres au fil des dédales de ruelles, je me suis rendu seul à la place St-Marc pour la « grande nuit de clôture » du Carnaval.

Sur du Vivaldi ponctué d'un rythme disco, des démons dansaient avec des anges devant la façade byzantine tout illuminée de la basilique Saint-Marc. La vaste place était couverte d'une foule ondoyante de personnages surgis de différentes époques, reflets de l'imaginaire de plusieurs cultures sous les assemblages tout aussi variés de monuments, de clochetons et de coupoles. L'air du soir était froid, mais le vent s'était endormi et la foule compacte générait une chaleur odorante.

Du haut de leurs colonnes, sur la piazzetta, le lion ailé et saint théodore debout sur le dos d'un crocodile devenaient les figures de proue de toutes les extravagances de l'imagination et de tous les débordements de la fête.

Soudain, un couple qui se dirigeait vers le molo, le débarcadère des gondoles et des vaporettos, a attiré mon attention. Plus précisément, le visage brun et joufflu de l'homme me semblait familier et important. J’ai mis quelques secondes à le replacer : Imaggio!

Il était vêtu d'un costume de Casanova qui ne lui allait pas à merveille. La longue veste à jabot bleu royal, le pantalon de velours écarlate et les surbottes noires ne mettaient pas en valeur un homme aussi trapu; et avec son visage rondelet de quinquagénaire avancé, la perruque blanche et bouclée lui donnait davantage l'allure d'une concierge sur le retour que d'un séducteur mondain du dix-huitième siècle.

Imaggio était pourtant accompagné d'une femme blonde beaucoup plus jeune que lui, plutôt charmante et bien moulée dans un maillot noir de femme-chat.

Comme si j'étais simplement en train de capter une vue superbe du Grand Canal, je me suis dépêché de les filmer alors qu'ils montaient à bord d'une gondole. Quand ils ont été assis, ils se sont enlacés et ont échangé un long baiser. J'ai éteint le caméscope.

Grâce à ces images, je pourrais prétendre avoir poursuivi l’enquête comme on me l’avait demandé et démontrer que j’étais à la hauteur de la tâche.

J’avais à peine fait quelques pas sur la piazzetta quand j’ai ensuite reconnu un fou rire dans la foule. Je suis allé dans cette direction et j’ai vu deux formes noires qui tournoyaient dans les bras l’une de l’autre. Chancelantes, elles ont ralenti leur ronde et se sont immobilisées contre la colonne du lion ailé. Le fou rire que j’avais reconnu continuait de retentir, mêlé à un autre que je ne connaissais pas et qui m’a fait penser à une hyène.

Les deux fêtards, sûrement éméchés, portaient le costume typique du Carnaval de Venise, celui qui assure l’anonymat le plus complet, cette longue cape appelée tabarro et ce masque inquiétant et asexué, la bauta, coiffé d’un tricorne.

1 commentaire:

Unknown a dit...

Bonjour Jean,je suis ta cousine Karen fille de ton oncle Réjean.je suis heureuse de te découvrir un peu plus via ce blog .J'ai déjà lu quelques uns de tes livres que ma mère avaient .On se croisera peut-être un de ces jours .Bye

Karen Dumont