Le convoi des nuages, 2010



EXTRAIT

Les nuages blancs comme des fleurs de pommiers dans la brise légère ont rapidement grisonné à mesure que l’après-midi avançait vers le soir. Ils ont ralenti leur course, se sont alourdis et ont peu à peu envahi le ciel ; mais le soleil continuait, à intervalles imprévisibles, à les percer de ses rayons, comme autant de coups d’épée dans l’eau de la rivière aux ondulations aussi imperturbables que légères, et dans l’opacité translucide de la ferme des Laflamme.

Simone lève une fois de plus les yeux vers la grande horloge qui se dressait exactement au même endroit, dans la cuisine, le jour où on l’avait introduite, encore jeune fille, dans cette maison ancestrale.

Le pendule sonne la demi-heure comme un coup de gong fatal et Simone pousse un long soupir.

Des bruits de pas et des éclats de rire résonnent au plafond.

Elle sait bien que ce sont ses petits-enfants, la marmaille de Gaspard, qui s’amusent à l’étage, mais pendant un moment elle se sent revenue des décennies en arrière – quand Gaspard et les autres étaient encore des bambins. Elle a même l’impression d’entendre la voix de David enfant et de reconnaître le choc sourd de son saut de lit répandu dans toute la maison. Comme une détonation.

Simone arpente la cuisine en cherchant quelque chose ou quelqu’un qu’elle ne trouve pas.

Je pars parce qu’il faut donner une chance au printemps, à un autre printemps. Je pars pour enlever à tout le monde un poids devenu insupportable, d’abord pour moi-même.

Simone tressaille ; il lui semble avoir entendu un bruit de moteur ralentir sur la route.

De la visite ? Natasha et les garçons de David ?

Elle approche sa tête blanche et frisée de la fenêtre au-dessus de l’évier, qui donne sur l’entrée sablonneuse de la cour. Rien en vue sinon la Chrysler d’un blanc immaculé de son mari, la mythique fourgonnette Volkswagen peinturlurée de Gaspard et la Harley-Davidson rouge et noire de Reggie, à l’acier gonflé comme des muscles.

C’est déjà beaucoup. Elle ne se souvient pas de la dernière fois où ces trois véhicules ont été réunis dans la cour.

Je croyais tenir dans une main le progrès et dans l’autre la prospérité. Quand j’ai ouvert mes mains, j’ai vu que je n’apportais que la discorde et la honte.

À rebours des saisons, le vent du printemps souffle un froid d’automne, tandis que la clarté du jour prend la teinte d’un soir blafard.

Simone ferme un peu la fenêtre.

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