TROIS ÉTÉS*


PREMIER ÉTÉ

Le premier été, les voisins pouvaient entendre chaque soir, jusque tard dans la nuit et souvent même à toute heure du jour les fins de semaine, des cris de jouissance déborder des murs, s’exhaler des fenêtres et planer dans l’air avec les cris des oiseaux. Ces cris de jouissance surplombaient les autres maisons et dominaient tous les bruits familiers dans l’échelle des occupations humaines.

Les petits plaisirs des gens en train de jardiner, de préparer de la nourriture sur un four à charbon, de jouer au ballon avec un enfant ou de lire tranquillement en sirotant un verre, tous ces petits plaisirs semblaient tout à fait dérisoires en comparaison de cette éruption venue des hormones de la terre, et dont cette maison, pourtant aussi ordinaire que les autres, était devenue le haut-parleur.

Quand les cris de jouissance s’apaisaient, des chuchotements émerveillés, mêlés de gloussements et de rires, se répandaient en harmonie avec le bruissement long et doux du vent d’été dans les arbres.

DEUXIÈME ÉTÉ

L’été suivant, plus un son.

Rien.

Ni le jour ni la nuit.

Pendant que les voisins étaient en train de jardiner, de préparer de la nourriture sur un four à charbon, de jouer au ballon avec un enfant ou de lire tranquillement en sirotant un verre, cette maison restait silencieuse comme si elle avait été inhabitée.

Pourtant, de temps à autre, retentissaient quelques éclats de voix désaccordées. Non pas des cris de jouissance, mais des mots chargés d’amertume et d’exaspération.

Mais la plupart du temps, on n’entendait rien du tout. Que des cris d’oiseaux et le bruissement long et doux du vent d’été dans les arbres.

TROISIÈME ÉTÉ

Le troisième été, les voisins pouvaient entendre chaque soir, jusque tard dans la nuit et souvent même à toute heure du jour les fins de semaine, des cris de discorde déborder des murs, fuser des fenêtres, et tonner dans l’air en faisant taire et fuir les oiseaux. Ces cris de discorde surplombaient les autres maisons et dominaient tous les bruits familiers, qui devenaient tout à fait anodins en comparaison de l’éruption de rage venue de cette maison, pourtant aussi ordinaire que les autres, mais transformée cette fois en haut-parleur de la zizanie humaine.

La nuit il arrivait même que la dispute se répande jusqu’au milieu de la rue. La porte s’ouvrait brusquement, ce qui faisait monter de plusieurs décibels les exclamations et les injures. Une silhouette sortait en courant, une autre la rattrapait.

Bousculades.

Gifles.

Et encore des cris de colère et de détresse.

Les feux des voitures de police tournoyaient dans la rue; leurs lueurs vives grimpaient aux façades des maisons. Des ombres rampaient sur la pelouse jusqu’à l’obscurité totale des fonds de cour, où brillaient les yeux des chats inquiets. Un chien se mettait à aboyer, un autre lui répondait et tous deux ne s’arrêtaient plus.

ET UNE NUIT...

Une nuit, le bruissement long et doux du vent d’été dans les arbres se berçait avec le chant des cigales et des grillons, sous le ciel serti d’une pleine lune; et cette maison, comme toutes les autres, baignait dans une langueur féerique. C’était vers la fin du mois d’août, mais il faisait très chaud. L’été avait un dernier sursaut de canicule.

Un calme envoûtant enveloppait le quartier lorsque soudain, un cri de bête humaine, particulièrement intense et déchirant, retentit de la maison et se modula en un monologue définitif et brisé.

Peu de temps après, les voisins eurent de nouveaux voisins dans cette maison.

*suivi du film Trois étés

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